J’étais seule sur des chemins.

J’ai vu tellement de gens marcher.

Je me suis vue à travers eux et avec eux ; je leur ai raconté ma vie et j’ai eu la sensation d’appartenir à un monde complètement différent. Ces voyageurs qui t’accompagnent de loin, que tu accueilles dans ton rythme de marche ; et à qui tu donnes du sens. Tu es leur miroir et ensuite, tu disparais ; tu les retrouveras sur une route plus loin ; ou peut-être pas. Il se peut que tu ailles plus vite ou plus lentement, car la vie choisit avant toi le rythme que tu donnes à ta démarche, que tu choisis sans choisir, parce qu’on se trompe souvent en pensant que nos décisions viennent de nous, alors que finalement nous voyons peu dans nos désirs.

Tu as connu tellement de gens et tes jambes sont lourdes et tes douleurs continuent et la pensée de t’arrêter t’arrive soudain. Tu sens peut-être qu’aujourd’hui tu marcheras moins. Que hier tu as marché plus et que donc c’est peut-être mieux de s’arrêter pour permettre à ton corps de prendre du repos.

Mais je vois que quelque chose en toi, l’instinct le plus imprévu, arrive dans ta vie de tous les jours, te donne un nouvel élan au moment où tu décides de poser ton sac sur l’herbe.

Quelque chose te dit que tu pourrais continuer si tu le souhaites. Que les douleurs viennent aussi facilement qu’elles partent.

Et que si tu t’arrêtes, tes pas ne verront plus la lumière que tu cherches.

La lumière de ton rythme, où se trouve ta propre solitude, comme un visage qui se transforme sur la route du temps , qui met les hommes ensemble.

El Camino ce n’est pas un chemin mesuré. Ce n’est pas non plus des étapes à franchir et aucune auberge ne peut accueillir les bagages qu’on amène avec nous.

El Camino ce sont des pas, des gens qui se mélangent pour s’ouvrir au monde.

C’est le toit que tu cherches depuis longtemps et en même c’est la source de ton silence. Et dans l’amour de ce silence, d’après Antoine de St. Exupéry, nous sommes plus près de notre citadelle. De notre royaume à nous, créé grâce aux vérités qu’on s’invente tous les jours pour exister. Et ce n’est pas triste, non. C’est vivant, révélateur. On se rend compte de nos erreurs,

notamment celles d’avoir confondu ce qu’on fait avec ce qu’on est,

d’avoir perturbé nos sens et de s’être cru immortelles face à nos désirs.

J’ai marché depuis le début avec un enthousiasme qui me donne la joie d’écrire à l’instant : quelle belle chose de se réveiller le matin et de savoir que la seule chose à faire est de marcher! De continuer sa route ou au contraire, de tout changer. Retourner à la racine pour s’instruire à nouveau. Pour comprendre.

Pour me voir. Pour sentir les gens à mes côtés, et plus encore, pour voir leurs racines, de près! De plus près qu’on ne l’avait jamais imaginé. Cette solidarité tacite nous donne une confiance et un amour silencieux qui nous donnent le courage d’appartenir tous au même monde.

Ma direction est donnée par la danse de mes choix intuitifs et les autres décisions qui en dérivent… Mais la voix qui me conduit quelque part est toujours liée au silence. Et ensuite au bruit. Tout peut arriver à n’importe quel moment, et je serais prête à tout, sur ce chemin à nous, qui me conduit chaque jour vers la nuit qui m’apaise.